Au bout de l'aventure.

Comment vous raconter ma vie ?
Je viens de l'autre siècle.....Environ 1900 ! ! ! Ma mémoire est un peu défaillante, vous l'accepterez facilement, je l'espère.
Sortie toute rutilante de la chaîne de montage de la maison Citroën, je m'offrais aux regards du plus audacieux, qui, selon la pancarte «B 14 décapotable, à vendre », se laisserait tenter !
Un Comte, à particule je vous prie, s'est présenté : Henri de Virieu. Il avait fière allure, un grand château, des terres, des fermes, donc des gens qui travaillaient pour lui, un tracteur et des machines agricoles en pagaille.
Moi, je suis arrivée directement dans la grande cour d'honneur, avec Henri de Virieu qui me conduisait avec dextérité. J'étais un cadeau pour l'anniversaire de son épouse Amélie.
Aussitôt, il klaxonna pour avertir de notre présence. Amélie, suivie de Charlotte, apparurent et aussitôt, les bras levés au ciel, s'extasièrent ! Pour remercier son mari, elle lui sauta au cou, tant j'étais désirée et attendue ! C'était beau à voir ! Elle se mit au volant. Son mari lui expliqua comment marchaient les vitesses et ma carrière commença.
Tous les jours, je conduisais Madame au marché ou à la visite de ses fermes, puis l'après-midi, chez ses amies, dans les châteaux environnants. J'étais bien considérée, admirée, lavée, astiquée, très fière de transporter tout ce beau monde avec leur progéniture d'adorables blondinets qui, aussitôt adolescents, se mirent à vouloir partir eux aussi avec moi !
Les destinations changèrent du tout au tout ! Ils s'exerçaient au cross. C'était à celui qui franchirait le fossé le plus profond, qui prendrait les chemins les plus caillouteux et les collines les plus pentues. Cahin, caha, toujours docile, j'avançais et jamais ne « calais ». J'étais leur « Teuf-Teuf », leur jouet, soumise à toutes les épreuves.
Amélie avait depuis longtemps renoncé à « Sa » voiture qu'elle avait confiée aux enfants. Parfois ils chantaient et riaient si fort que l'on n'entendait plus le moteur ! Puis, un jour, sous un orage terrible, je basculai, glissant sans pouvoir m'arrêter, passant sur le toit, sur les ailes, je roulai et fis des tonneaux dans tous les sens. Consciente de ma responsabilité, je calais le moteur, mesure de sécurité. Ouf ! ! !
La voiture ne prendrait pas feu et ces petits imprudents en profitèrent pour sauter à terre alors que je continuais ma course se terminant dans un précipice.
Ces jeunes fous vinrent jusqu'à moi, m'inspectèrent sur toutes les coutures ; j'étais très mal en point, cabossée, cassée, mais aucun d'eux n'était blessé.
Je restais là un certain temps, abandonnée, sans doute oubliée, exposée à toutes les intempéries. L'eau, la rouille se mirent à me ronger jusqu'à la moëlle.
Un jour, un paysan, pétri d'écologie, vint me sortir de là avec son tracteur. Il me tira jusqu'à sa ferme avant de me conduire à la « casse » : Cimetière de tous les véhicules hors d'usage. Là, je n'étais plus seule. Je finis ma carrière en ayant encore parfois la visite de quelques bricoleurs qui me désossaient au gré de leurs besoins : là des écrous, ici une aile, une roue et même une portière toute entière qui avait été jusqu'alors épargnée.
L'herbe se mit à pousser autour de moi, me caressant au gré du vent, ainsi que du buddléia avec ses longues grappes de fleurs violettes attirant les abeilles et les papillons. Petit à petit je disparus sous cette végétation sauvage et abondante, ce qui me permit d'imaginer ma seconde vie transformée en végétal !
Que rêver de plus ?

Marthe