La promenade

- Dis-moi maman, pourquoi dit-on que quelque chose est éphémère? Je ne comprends pas cette leçon!

Je regarde mon fils me fixer droit dans les yeux, il semble outré. Entouré de ses livres de français, il ne semble pas réaliser la portée de sa question, et je le comprends. Du haut de ses dix ans, cette notion peut paraître compliquée.

- Pose tes livres et accompagne moi à l'extérieur. Je vais t'expliquer cela au travers d'une balade.

Il s'empresse de tout fermer et enfile ses chaussures à une vitesse folle. La perspective d'une promenade semble, bien évidemment, pour cet enfant débordant de vie, plus intéressante que ses cahiers et leçons.

- Il y a, dans la notion d'éphémère, des sentiments d'instantanéité et de ponctualité.

C'est un élément qui ne durerait pas dans le temps. Il s'agit donc d'un instant, d'un souvenir ou même de quelque chose qui ne s'inscrit pas dans la continuité, dans l'Histoire.

- C'est faux. Complètement faux !!! Me rétorque-t'il.

Son ton est tranchant.

- Oui et non. Dis-m'en plus sur ton point de vue.

- Si je reprends ce que tu m'as dit maman, cela voudrait dire que nous ne sommes pas capables de conserver un instant?

- C'est un peu ça oui.

Il me regarde avec un air totalement désapprobateur.

- Alors dans ce cas, quelle est l'utilité des photos, des vidéos? Nous avons des moments avec nos amis, nos copains de l'école. Nous prenons des photos. Nous vivons des instants qui sont donc éphémères car ils ne durent qu'un temps, mais nous les conservons pourtant pendant une durée indéterminée !

- Tu as raison, c'est vrai. En ettet, l'éphémère est un moment, qUI, parmi les autres, trouvent une valeur forte. On appréciera de passer du temps avec ses amis, ses amoureux ou amoureuses car nous savons que ces moments sont limités, ils ne durent pas: ils sont éphémères. C'est donc à nous de les chérir.

- Ah ça oui!

- Pour te donner un autre exemple, l'instant que nous vivons en ce moment est éphémère car il ne durera qu'un temps. A une plus grande échelle, nous pouvons dire que la vie en elle­même est éphémère. Car finalement, la vie n'est qu'une succession de moments spontanés et délimités dans le temps. Mis bout à bout, ces instants forment des choix, qui forment nos vies.

- Sije comprends bien, c'est un peu comme quand, hier, après avoir choisi les chaussures vertes pour aller à l'école, j'ai regretté car Maxence avait les mêmes que moi. L'instant où j'ai choisi mes chaussures était éphémère car il n'a pas duré dans le temps, et cette action a eu des conséquences sur mon humeur un peu plus tard.

- Tout à fait!

- Je veux prendre des photos, profiter de l'instant présent. Je suis ici avec toi et je ne souhaite pas rendre ce moment éphémère, je veux m'en souvenir plus tard! Je ne veux pas l'oublier!

Il m'arrache une larme.

- Mon chéri ...

Je le fixe droit dans ses petits yeux en amande.

- Il ne s'agit pas nécessairement de retenir l'éphémère. Il s'agit de profiter des instants que tu vis. De vivre intensément, pour ne pas regretter plus tard. Tout est instants et moments qui définissent le début du reste de ta vie et de celle des autres. C'est la raison pour laquelle tu dois être droit et correct. Quant à ton sujet de français, défmir que quelque chose est éphémère tu peux répondre ceci: Tout est éphémère du moment qu'il n'est pas entretenu, l'enjeu est de le retenir pour le transformer en souvenirs impérissables.

- Ok j'ai compris ! Retenir l'éphémère pour le faire perdurer passe par des actions.

- Exactement !

- Merci beaucoup! Mais euh ... Maman?

-Oui?

- L'école aussi c'est éphémère? parce que, de ce que j'ai compris ... oui. Dans ce cas, je n'ai pas besoin de rendre ce devoir!

- Alors ça mon chéri, c'est un autre débat! dis-je dans un éclat de rire.


 

Petit garçon

J'ai vu ce petit garçon flâner
devant cette rivière, silhouette d'eau,
qui semblait boire chacun de ses mots.

Lui caressant doucement 
le visage, j'entendis au loin,
qu'il disait n'être qu'un
oiseau de passage.

Car dans le dos, on lui a
coupé une aile malade,
et que s'il perdait l'autre,
il deviendrait sur une fleur,
qu'un doux et tendre pétale.

Car «je suis éphémère comme
la rose»
disait-il, et que si l'on
désarme « flâner» de son aile,
il finira par s'éteindre doucement,
mais laissera au passage, un parfum
d'amour sur le cœur des vivants.


  

L'éloge du temps

Chaque aube naissante dessine une page blanche où s'écrit une nouvelle histoire, un souffie de vie inaugurant la lumière et la création.

Le temps est surprenant: les jours et les nuits se succèdent et ne se ressemblent pas.
Le temps est incertain: sa subtilité éphémère donne l'illusion de l'éternel.
Le temps est substantiel: il est le guide du chemin de la sagesse.
Le temps ne se retient pas: il est souvenir pour hier, nouveauté pour demain et moment présent pour aujourd'hui.

Il se dessine à travers Dame Nature et ses multiples paysages empreints de courbes, de nuances et camaïeux qui appellent à la contemplation.

Il se savoure par des moments fugaces embellis par la joie et l'émerveillement tels ceux d'un enfant admirant la traversée d'une étoile filante égarée au cœur du firmament.

Il invite à songer au bonheur, l'enlacer quand il se présente et l'ancrer au plus profond de son cœur afin de sentir sa présence continuellement.

Il se saisit sans réfléchir: le kaïros. Allégorie de la magie ou du miracle, vecteur d'un état congruent, il est alors l'opportunité de s'accomplir pleinement avec finesse et lucidité.

Il se met en suspend lorsque la flèche de Cupidon perce deux cœurs hypnotisés par l'amour, où l'attirance, état de transe, se peint dans un jeu de séduction chamel et exaltant. Un moment de désir : la rencontre, deux regards et le silence.

Il offre des plaisirs somptueux et savoureux, des ivresses et des poésies. Des mélodies aux notes douces et chaleureuses qui nourrissent l'âme. Dès lors sublimée, elle se réverbère sur un corps bienheureux.

Il se prend. Oui prendre le temps, le temps de respirer, d'être, de faire, de sourire, d'observer, d'écouter, de méditer tout en s'inspirant de cet adage écrit par Horace: Carpe diem, quam minimum credula postero.

Il se raconte au cœur d'une histoire singulière effervescente de moments inoubliables, d'expériences dont les richesses mènent à l'harmonie, à l'acceptation et au lâcher-prise.

Il guérit les âmes en peine. Le temps est un abri qui, lors d'un deuil, permet une pause réflexive afin de propulser la psyché vers un renouveau tout comme le Phoenix qui renaît de ses cendres. Il se promène depuis la nuit des temps, traverse des époques toutes aussi différentes les unes des autres. Il est le témoin de l'évolution humaine. Il est infiniment grand.

Il se lit dans les lignes de la main et dans les sillons tracés sur les visages au fil du temps qui fredonnent le refrain d'un hymne à la vie.

Il passe vite, très vite, s'essouffle parfois mais reprend toujours son élan pour esquisser la toile funèbre: partir vers d'autres cieux toutefois inconnus. Passage effroyable ou olympien, la mort évoque le secret animique de l'après dont seul le temps est le gardien.

Le temps vit au cœur d'un univers fertile. Il se révèle dans l'instant et rend possible l'écriture d'un lendemain.


 

Retenir l'éphémère, le vieux.

Ses gros doigts ont du mal à saisir, serrer et nouer ces lacets un peu trop raides.

Il vient de les remplacer il y a quelques jours, ils sont encore très apprêtés, mais ça ira mieux bientôt. Finalement ils ne sont pas si gros ses doigts, juste un peu trop noueux. Assez fins d'ailleurs, et bien déformés comme le sont des sarments de vignes pourtant beaucoup plus jeunes que lui.

Les lacets s'accordent bien avec les chaussures façon italiennes, d'un cuir fin, soyeux, un peu fauve, cirées comme un miroir. Portées ces chaussures, bien portées même, et aussi bien soignées. Souples comme des gants, ajustées, et harmonieuses avec les lacets marrons clairs qu'il vient de réussir à nouer. Il a bien d'autres chaussures de toutes natures, mais le temps qu'il fait aujourd'hui impose celles-ci à ses pieds pour l'accompagner.

Après cet effort d'agilité capricieuse, ses doigts noueux le font un peu souffrir. Mais pensez-donc, tant d'années, tant de décennies à assouplir et plier le cuir, tirer le fil enduit, perforer à l'alêne et piquer de l'aiguille courbe, assujettir les peaux sur l'ébauche, ajuster les teintes et maintes autres manipulations qui ont accumulé les maltraitances sur ces mains là. Sur ces doigts là, qui finalement l'ont bien supporté et ne l'ont pas lâché de toute sa longue carrière. L'apprenti cordonnier qui est devenu chausseur, fabriquait un peu, réparait beaucoup et vendait aussi. Enfin, c'était surtout son épouse qui vendait le mieux. Elle avait le don avec les clients. Elle savait les choisir et les assortir pour les clients.

Puis un jour, subrepticement l'âge les a retrouvés, envahis, dominés. Elle fut emportée en quelques mois douloureux et ajouta dans son bagage la passion, l'énergie et l'envie.

Il délaissa le magasin d'abord, puis petit à petit l'atelier, liquida le stock et se rencogna dans le petit appartement du dessus pour s'assoupir.

Pendant longtemps le magasin abandonné s'est décrépi jusqu'à ce qu'il cède à l'insistance de voisins. Rejoignant la tendance que le quartier a pris en accueillant ses nouveaux visiteurs, son vieux commerce a trouvé une modernité vintage dans son habit suranné. Il revêt maintenant une jeune parure d'artisanat et d'accessoires vestimentaires, pleine de couleurs et de dynamisme.

Momie inadaptée sur la place qui l'a vu naître, il ne s'y sentait déjà plus de ce monde et attendait sans vie, que la santé se lasse de le laisser vieillir gentiment.

Un jour qu'il ouvre une malle, il se perd brutalement dans le dédale oublié des images qui resurgissent à l'improviste. Il redécouvre ses chaussures fétiches, et ses casquettes qui lui conféraient une identité toute personnelle. Comme un enfant qui joue aux essayages, il constate que sa tête convient toujours à ses couvre-chefs, puis dépoussière et cire ses chaussures pour en faire revivre le cuir, lustrer la patine. Ne sortant que pour le strict nécessaire, sa garde robe n'a pas été renouvelé ni usé depuis son époque. Il s'habille donc soigneusement et surtout se chausse, se coiffe attentivement, saisi la canne de bois qui lui a été offerte lors de la vente de son magasin, et pour la première fois depuis des années, il sort sans en avoir l'utilité. Ce jour-là c'est juste un besoin, tout court. 

Ainsi, depuis la fin de l'hiver, chaque matin, il prend le temps de se préparer tranquillement, comme en rituel, et descend faire le tour de la place et des quelques ruelles avoisinantes. Il passe tout d'abord par le bureau de tabac pour se permettre un petit cigare léger, de ceux qu'il affectionnait lorsqu'avant ils faisaient ensemble une promenade dominicale, et il chemine tranquillement à la rencontre de ses partenaires de temps qui passe.

Il Y a Claude le maraîcher de la place et sa femme Gilberte, récents grands-parents, qui se préoccupent de sa santé, veillent qu'il ne lui manque rien et sont les seuls à les avoir connus, il y a longtemps déjà dans leur magasin-atelier de chaussures. Ils sont les seuls aussi à l'appeler par son prénom. Ce sont les derniers avec qui il partage un bout de passé, comme une intimité de disette.

Le bistrotier Albert, prince débonnaire régnant sur tout ce petit monde de quartier. A la fois confesseur, psychiatre, presse et jeu, lui sert un café serré et un verre d'eau dès qu'il apparaît en lui annonçant les dernières nouvelles fraîches, ou en commentant le dessèchement de celles qui datent un peu.

Édouard lui se prend pour, ou fut peut-être réellement, un petit aristo. Désargenté, il s'illusionne encore de sa prestance que les bières bues dès le matin habillent d'une classe perdue. Il continue à s'adresser aux oreilles complaisantes, jusqu'à ce que les petits blancs et les apéros le rendent inaudible.

Routard sédentarisé, Kevin dont l'âge ne justifie pas son état de décomposition avancé, lui fait raconter son époque qu'il voit comme chanceuse, idéalisée sans doute, pour vivre par procuration dans un monde que son abus de produit toxique ne lui donnera sûrement pas l'occasion d'approcher.

Et surtout il y la chaise paillée, posée entre deux portes de commerces, mi ombre mi soleil, place stratégique d'où il s'immerge dans toute cette agitation matinale. Spectateur privilégié, convié par les acteurs à s'intégrer au cœur de la scène de leur représentation. De là, ils viennent y recueillir un mot, ou lui apporter les leurs. Comme un arbitre bienveillant à qui on ne demande que d'être là et d'y être le plus longtemps possible en digne représentant de la perpétuité des choses.

Ainsi, le couvercle béant de la malle aux chaussures restée ouverte, conserve désormais le temps qui passe en y emmagasinant les mots, les sourires, les intentions, les présences et les attentions que chaque promenade matinale moissonne.

Comme l'eau qui s'évapore sous la chaleur, ses journées inutilisées s'enfuyaient l'une derrière l'autre sans laisser plus de trace que celle fugace de l'oiseau se posant sur la plage.

Aujourd'hui, les pavés des ruelles lentement arpentés par le cuir assoupli, caressés par l'embout de caoutchouc de la canne, sont devenus des compagnons de route sur le chemin de la mémoire.

Les journées du vieux cordonnier existent désormais dans les vies de ceux qu'il côtoie quotidiennement. L'éphémère insaisissable du temps perdu qui s'évanouissait a été capturé par une convivialité retrouvé.


 

Lettre à mon enfant

Vois-tu ce nuage dans le ciel? Il prend la forme d'un mouton ou peut -être d'un chien ... Regarde cet oiseau sur la branche, ce papillon sur la fleur ... Ils profitent du printemps, du soleil. ..

Ecoute le vent dans les arbres, l'abeille qui butine, le chant des oiseaux, la cloche de l'église, les vaches qui mugissent, le coq qui nous réveille ... Toutes ces musiques sont si belles à entendre ...

Sens le doux parfum des fleurs, 1 'herbe coupée, les épices sauvages. Imprègne-toi de toutes ces odeurs délicieuses ...

L'été, le torrent jaillit depuis le haut de la montagne, il s'écoule ensuite tranquillement dans la plaine mais l'hiver il est recouvert de neige, l'eau est gelée aux endroits les moins profonds.

Les arbres sont verts tout l'été mais lorsque l'automne est là, ils se parent de couleurs, ocre, jaune, orangé, rouge ... L'hiver ils se couvrent d'un beau manteau blanc pour reverdir au printemps ...

Regarde ces paysages merveilleux ...

Tu cours après la feuille qui s'envole, tu ris aux éclats lorsque tu te roules dans 1 'herbe ou que tu glisses sur la neige.

Profite de ton innocence, de ta jeunesse, de la vie !

Tout cela part tellement vite ... La vie est belle, la nature est magnifique, le sais-tu ?

Pour garder ces images, tu peux prendre des photos: elles te permettront de revivre certains de ces instants, mais le mieux cependant est de les vivre pleinement et de les mémoriser.

Les senteurs, les sons, les ressentis sont quelque chose de personnel et tu es le seul à les vIvre ...

Garde ces souvenirs en tête et tu les transmettras à ton tour à tes enfants. Souviens-toi de ce que tu vis, de tous ces moments merveilleux ...

Reconnaîtras-tu l'odeur du gâteau au chocolat, des déguisements que tu as portés, des meubles en bois? ...

Te souviens-tu des comptines que je te chantais lorsque tu ne trouvais pas le sommeil? Sens-tu encore mes mains sur ton visage qui te caressaient pour t'apaiser lorsque tu étais triste? ...

Touche cette pierre, caresse le chat, mets tes mains dans la fourrure du chien ...

Par tous tes sens, retiens ce que tu vis car tout est éphémère. La vie est éphémère ...

Profite, mon cher enfant, de tous ces instants présents! La vie est belle mais parfois elle nous quitte sans nous prévenir, bien trop tôt. ..

Aujourd'hui je partage avec toi toutes ces choses délicieuses mais demain, peut-être, aurai-je tout oublié? T'aurai-je oublié? ... M'oublieras-tu? ...

La mémoire est indispensable mais l'âge ou la maladie peuvent nous l'enlever ...

Dans ce cas, rappelle-moi ces doux moments, chante-moi les chansons qui te berçaient. .. Caresse-moi le visage, les mains, comme je le faisais lorsque tu ne trouvais pas le sommeil. ..

Et, enfin, je partirai, apaisée ...


 

Retenir l'éphémère ...

Voici ma quête, pour elle tous les jours, j'enquête:
Retenir l'éphémère.

L'éphémère, ce substrat ingrat, qui dès qu'il est vécu, identifié, s'enfuit comme un renégat pourchassé par la loi .

Partout, je le guette, car l'éphémère, comme son nom l'indique, ne dure pas,
s'envole prestement, disparaît rapidement, hors de vue , hors d'atteinte,
reviens l'éphémère !

Alors, en tous temps, en tous lieux, je le piste, je suis sa trace,
je suis un trappeur de moments éphémères ...

J'opère sur tous les théatres , dans la ville commode, dans la nature hostile,
dans les situations les plus cocasses et inédites,
comme celles plus ordinaires ...

Car l'éphémère se cache partout, il est l'as du camouflage, le roi du déguisement,
et à l'instar de certains animaux, il pratique le mimétisme avec brio ...

Ainsi donc, il n'est pas toujours aisé de le débusquer, comme fée électricité, on ne peut bien longtemps le garder ...

Et n'oublions pas, que finalement, tout est éphémère, ou peut l'être ...

La vie, avant tout, l'est.
L'amour, qui peut, on le sait, ne pas durer toujours
La jeunesse, la joie, l'énergie, la saison des abricots moelleux,même si l'on sait que pour ces derniers, l'année d'après ils reviendront .. ; tout est fragile,
et disparaît un jour d'un battement de cils.

La journée que l'on débute, elle aussi est fugace ..

Qu'elle soit nimbée de bonheur ou de malheur, l'avantage ou l'inconvénient, c'est qu'elle est, elle aussi, finissable , papillon de nuit qui s'éteint avec le jour naissant ...

Cette existence, donc, éphémère par essence, qui s'étale sur quelques heures, quelques jours, ou plusieurs décennies, cette existence, à laquelle nous nous accrochons coûte que coûte, mais qui inexorablement, nous filera entre les doigts, glissera de nos mains ...

Par définition, on ne peut retenir ce qui est éphémère que le temps de son existence qui ne perdure pas.
A une exception prés ,cependant :
Les souvenirs.
Les faits, les actes, les situations, sont éphémères.
Les sentiments , les émotions et les souvenirs qui y sont rattachés, eux , peuvent vous rester et vous habiter toute une vie .

C'est pour cela que cette vie que nous expérimentons tous de manière différente, nous chuchote, nous fait comprendre qu'à part les leçons qu'elle nous apprend de temps à autre de façon qui semble être à nos dépens, cette foutue vie, parfois,nous apprend surtout, que rien, ne se retient.

Du reste, rien ne reste intact, tout se transforme, change, et même les souvenirs les plus forts, parfois, un jour, eux aussi, finalement, peuvent disparaître ...

Ou alors, on les enjolivera, on en retranchera un peu, on y ajoutera une touche de ci , un morceau de ça ...

Le fauvisme le plus flamboyant se transformera en pastel irisé, le métal le plus dur se changera en dentelle délicate, la pluie fine évoluera en hallebardes.

Et puis un jour, tout disparaît.

Tout disparaît, et magie de la vie, autre chose renaît .

Je dois être un mauvais chasseur, ou un piètre archéologue, car sans cesse affairé dans mes fouilles , et pourtant ,souvent rentré bredouille.

Je n'ai pas trouvé la recette alchimique pour retenir le saint Graal, car tout de même, tout est résultante de réactions chimiques.

J'aurais eu beau retourner la terre entière, puisque tout est éphémère, j'ai laissé ma pelle et ma pioche, délaissé mes pièges et mes filets ...

Maintenant fatigué, je vais me laisser aller à un sommeil réparateur, lui aussi, je le crains, éphémère ...

FIN


 

 

IL AURA RETENU L'EPHEMERE

Lorsque le jour se leva, l'atmosphère était déjà lourde. Lourde du reste d'orages terrifiants qui avaient ponctué la journée de la veille. Ce matin-là, le soleil brillait de nouveau mais une moiteur enveloppait les êtres et les choses. Tous deux avaient décidé que ce jour-là, le but de leur excursion serait l'aqueduc du Pont du Gard. Après une matinée de repos, ils se rendirent sur les lieux.

La chaleur était difficilement supportable. Le soleil brûlait paysage et hommes, la luminosité se faisait aveuglante. Mais lorsqu'ils partaient ainsi ensemble, rien n'aurait pu les arrêter. Ils se mettaient mutuellement en marche comme s'ils n'avaient été qu'un seul être. Aussi, ce jour-là, s'acheminaient-ils tranquillement vers le monument le plus célèbre de cette Provence enchanteresse qu'ils aimaient par­dessus tout. La foule était nombreuse autour d'eux, mais cela ne les empêchait pas de s'emplir du chant des cigales, de se laisser caresser par les soufiles brûlants d'une légère brise, de s'enivrer des parfums environnants. Avant de monter sur l'aqueduc et de satisfaire ainsi leur curiosité, ils résolurent de se reposer un moment au bord du Gardon et de profiter de la fraîcheur de l'eau vive. Aussi s'installèrent-ils sur le sable qui descendait en pente douce vers la rivière. Là, il se plut à contempler sa compagne comme il le faisait si souvent sans jamais ressentir une quelconque lassitude. Elle était resplendissante dans la maturité de ses quarante ans. Une incarnation de la Beauté. Avec elle, on était au-delà du charmant, du joli, de la séduction. C'était à proprement parler une déesse qui, cependant, ne tirait aucune prétention ni aucune suffisance de sa perfection. Grande, élancée, blonde, hâlée, il semblait que ce corps eût été modelé par un des plus grands sculpteurs florentins de la Renaissance italienne. Lui était un peu plus âgé, élégant et chic cependant, plein de charme et d'affabilité.

Ils profitèrent ainsi du paysage exceptionnel qui les enveloppait, ne sachant sur quoi attarder leurs regards, sur le bleu profond du Gardon, sur l'immensité aveuglante du ciel, sur les escarpements verdoyants des collines environnantes, ou sur la blancheur cassée du monument.

Enfin, ils se dirigèrent vers ce célèbre pont, vanté tant par les poètes, les artistes, que les historiens.

La beauté et l'ingéniosité de la construction étaient mises en valeur par le cadre naturel. La pierre blanche était rendue éclatante par le contraste que provoquaient le bleu du ciel et la verdure du site. On aurait cru que la nature s'était ainsi formée pour valoriser le monument. Ils appréciaient autant cette splendeur majestueuse que le génie dont témoignait la construction. Tandis qu'ils continuaient à partager émerveillement et culture, ils s'acheminaient vers le niveau supérieur de l'aqueduc accessible par le flanc des collines. Ils s'engagèrent alors dans la canalisation, là même où des siècles plus tôt s'écoulait l'eau qui allait alimenter la ville de Nîmes. Cette superposition des époques ne les laissait pas indifférents. Après combien de siècles ils arrivaient, eux, si fragiles dans cet univers minéral! Cela créait comme un sentiment de frustration en eux ; lui perdait quelque peu de son enthousiasme, ne prononçant plus une parole. Ils décidèrent de faire le même chemin, mais sur la galerie supérieure cette fois. Là, la foule avait disparu, restaient quelques curieux ou passionnés. Il fallait évidemment montrer un peu de prudence. Tous deux avançaient précautionneusement. Sa main appuyée sur l'épaule de son amie, il méditait sur la grandeur des lieux. Cet aqueduc était là depuis des siècles : imposant, dominant toute la vallée et le paysage, il avait traversé les temps, avait été témoin de tant d'évolutions dans son cadre, avait été tant de fois admiré, avait suscité tant d'interrogations. La matière s'avérait là bien supérieure à l'homme, même si c'était ce dernier qui avait façonné les pierres, calculé les résistances des arcs, des piliers; il avait certes laissé sa trace à travers ce monument, mais seul ce dernier avait résisté au temps.

Et lui? Et eux ? Là, sur ce pont éternel, que représentaient-ils? Rien, au regard de l'éternité. Il admira encore son amie qui restait subjuguée par cet environnement. Une fulgurance lui traversa alors l'esprit: elle, si belle, allait forcément peu à peu se faner. Dans quelques années, cette perfection ne serait plus. Elle-même peut-être en serait affectée. C'était bien là la condition humaine, la condition des mortels condamnés à la dégradation, à l'avilissement. Le soleil l'aveugla encore une fois soudainement.

C'est alors que des hurlements de terreur et à la fois de surprise résonnèrent dans la vallée. Certains fermèrent les yeux pour ne pas voir la fin de la chute vertigineuse. La jeune femme venait de s'écraser sur le banc de sable qui s'étendait au milieu du Gardon. Après la stupéfaction, ce furent l'horreur, puis la panique, qui envahirent la foule présente en ce lieu. Lui restait hébété au milieu de la plate-forme, et il fallut que quelques promeneurs le prissent par les épaules pour le faire redescendre.

Alors, ce fut la succession des autorités, des responsables du site, des secours. Le corps, qui n'avait pas même été abîmé malgré la vitesse de la chute et la violence du choc, dont la beauté apparaissait comme une évidence dans ce sommeil qui serait éternel, fut emporté, et l'enquête commença. Les suspicions de meurtre étaient fortes, mais rien ne vint corroborer cette thèse .

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De nombreuses années plus tard, Lui s'éteignit, dans la solitude la plus totale. Lorsqu'on s'avisa de trier ses affaires, il fut trouvé un journal couvrant les dernières années de sa vie. On y découvrit l'atroce et en même temps sublime vérité sur une page écrite juste après le drame.

« A qui expliquer ce geste que chacun considérerait comme un meurtre sordide ? Alors qu'il ne s'agit que d'une délivrance pour elle et d'un hommage pour moi ... Ainsi elle ne me verra jamais vieilli et affaibli. Elle ne se verra jamais, fanée et dégradée .... Jamais elle ne se désolera des premières rides venant ternir son visage. Jamais elle ne se rendra compte de ce qu'elle fut et ne pourra plus être. Elle est restée une déesse, aucune image altérée d'elle ne sera dans aucun esprit de ses proches. Aucune photographie ne viendra ternir cette réalité de sa jeunesse. Elle est à jamais l'incarnation d'une certaine perfection ... J'aurai réussi à retenir l'éphémère ».


 

Souvenirs de Marioupol

Il fait froid, sombre, les gens se recroquevillent et ne s'animent plus. L'ours est là et il n'épargnera personne, petits et grands, hommes, femmes et enfants il doit broyer, ici et maintenant. La guerre a ceci de terrifiant, que le silence de la mort et les hurlements des suppliciés, ne s'entendent qu'une fois la bataille terminée, celle de trop, inutile, prélude à la suivante encore plus brutale, massive, idiote. Dans ma main, je tiens celle, froide, de ma fille, contre moi, je tiens le corps de mon fils. Avant, la vie les habitait, leurs petites mains disaient bonjour, au revoir et rangeaient les petits cubes à leurs places. Leurs rires étaient ma raison de vivre. Ils se sont éteints, comme beaucoup ici. Ils n'ont pas été ciblés, ils ne sont que les dégâts collatéraux d'une volonté d'anéantir.

Au temps où la lumière venait du soleil et la chaleur aussi, je faisais mille choses dans le jour et d'autres quand la nuit était là, regarder la lune, m'émerveiller des étoiles, vibrer de plénitude dans l'univers avec comme seule inquiétude, que demain ne soit pas aussi resplendissant que le jour passé. Ce demain est arrivé un matin comme une lettre à la poste, simplement, déposée dans ma vie comme une facture à payer. Une fois l'avis de passage déposé, nous avons été obligés d'accuser réception,. Il n'a fait cas de rien, le sifflement dans le ciel a précédé la destruction, la tristesse, le deuil, la fin des jours heureux. La déflagration s'est installée au milieu de ce que nous avions construit, à la place de ce que nous aimions. Après les bombes, sont arrivés les hommes habillés de brun, couleur étron, aux cerveaux malades, imbus de leur impunité. Quand ils sont entrés mon mari n'a pas crié. Mon mari n'a pas eu le temps de dire. Il s'en est allé, lesté de balles et de haine farouche, fauché par des imbéciles abreuvés de discours mensongers et d'alcool frelaté. Je n'ai pas crié non plus, c'eut été en ajouter à leur plaisir, je n'ai fait que subir en les maudissant, espérant protéger mes petits de leur malfaisance, ce faisant. Ils ont violé, assassiné tous ceux qu'ils voulaient, sous les applaudissements et les vivats des autres, restés au pays pour crier victoire, le jour venu.

Est révolu le temps de l'insouciance, de la joie et de l'espoir. Est venu le temps du regret, des souvenirs douloureux dans un présent annonciateur, d'un futur triste ersatz du passé. J'ai posé la main de ma fille sur le visage de mon garçon, ainsi ils seront ensembles là-bas où nul ne sait où cela est. Deux petits êtres dont le séjour ici sur terre aura été amputé, passagers éphémères anéantis avant l'heure, à cause d'une ignominie commise par des nostalgiques d'un temps jadis, dont ils espèrent rappeler le souvenir pour y enfouir leur haine du vivant.

Le bien est synonyme d'éphémère, le mal un voyageur au long cours. Dans une vie prochaine je voudrais être le maître du temps pour savoir retenir l'éphémère et par là pouvoir espérer, que les jours heureux ne nous soient comptés.

Ils sont venus presque sans le dire, comme vient le facteur avec le courrier ordinaire, celui que l'on attend sans savoir qu'il va venir et dont on décachète l'enveloppe, la curiosité en bandoulière. Mais eux, on ne les espérait pas, la curiosité n'avait pas sa place, seule la peur et le dégoût ont armé notre résistance ou provoqué la fuite devant la haine qui habitait ces ombres mtrusives, faucille et faux réunies dans une même main ensanglantée. Ce sont eux qui nous ont enfermés dans une logique de guerre, en illogisme absolu de l'incapacité à s'entendre. Maintenant, ils nous obligent à écouter le bruit des canons et des bottes, leurs pas résonnent, les détonations nous assourdissent et à travers les champs de blé, dans leur sillage, le malheur ils sèment.

L'arrivée de la guerre a bouleversé notre existence. Amis, voisins, connaissances, étrangers nous étions. Réfugiés, victimes, cachés, effacés nous sommes. Comptabilisés nous serons. Nous sommes nombreux, trop, pauvres hères délestés d'espoir, réunis dans un espace limité, là où personne ne devrait être obligé de séjourner. Les issues sont devenues impasses, la joie est restée 'au dehors, de peur de ressembler à une imposture. Depuis que je suis enfermée ici, je ne suis plus, je ne suis plus dans la vie, même si je suis encore, ce-n'est qu'une question de temps. Etrange sensation, prise de conscience. Pour se rendre compte de ce qu'est ne plus être, il faut le vivre. De son fauteuil, de sa compassion, on ne peut que partager-la peine, exprimer l'effroi mais la souffrance vécue vous fracture et celle-ci est indicible.

Ici n' existe que le temps indéfini. Dans la vie d'avant existaitle temps long et le temps court. Le temps long est celui des civilisations, des royaumes. Quel est la durée d'un empire comparé à l'éternité? Quel est le temps d'une vie dans un royaume, fût-il céleste? Peut-on quantifier la durée sans prendre en compte la charge émotionnelle qu'elle a accumulée en sôn sein? Pourquoi le temps ne serait-il fait que de secondes, de minutes ou d'heures, définissant, par l'alternance du jour et de la nuit, le passage du temps? Le temps court est celui du présent et le présent, aujourd'hui, n'est pas un cadeau. Est-ce que le temps est le même pour ceux qui ont conscience de son évolution, caractérisée par une infinité de durées, de l'éphémère à l'éternité, à la différence de ceux qui ne le vivent que dans un instantané émotionnel, pourtant lui aussi bien réel? Le temps est devenu synonyme d'attente, attendre le répit et en attendant, courber l'échine. Combien de temps faut-il à un missile pour déchirer la paix et déposer la mort? Combien de morts faut-il pour ramener un temps de paix ?


 

Lueurs de fragments éphémères

L'astre colore déjà le ciel de teintes saumonées. Il est bientôt quatre heures au bord de ce lac de Finlande. Je ne dors pas. L'appareil photo à la main, j'attends. Et plus j'attends, plus les couleurs m'enchantent. Je sens qu'il n'est pas loin, qu'il ne va plus tarder. .. Mais quand viendra l'instant? C'est le suspense, je guette. Et tout à coup, sur la croupe des pins de la colline d'en face, le voilà qui se montre ! Il dévoile la sommité ronde de son corps de feu, il se découvre, gonfle sans discontinuer. Il monte si vite qu'en quelques secondes il se détache déjà de l'horizon terrestre et flotte seul dans le ciel. Le soleil est levé. Les couleurs sont plus fades, plus stables, pâles. L'éclat magique, la naissance du jour est terminée. Je retourne me coucher.

Cela fait tout juste quelques jours que nous échangeons, mais nous échangeons vite, fort, intensément. C'est une pluie de messages qui arrose mes journées. Une pluie d'été, tiède, douce, euphorisante. Et c'est tellement limpide. Nos mots coulent tels des torrents d'anecdotes, de partages de savoirs, de rires, d'humour et de clins d'yeux. Rien ne se perd en chemin, ni toi ni moi n'économisons nos retours, notre chaleur, ni nos sourires verbaux. C'est beau. Et je m'accroche à un nuage, je plane, suspendue dans les airs, les pieds qui balancent dans le vide. La Terre en dessous est plus jolie, bien plus jolie que d'ordinaire. Ces quelques jours elle me sourit. Tout devient soudain si léger, même moi, qui en oublie de manger. C'est donc possible de retrouver un coeur avec qui c'est un jeu fabuleux d'échanger!

Aujourd'hui enfin nous sommes ensemble. Dès le début tout est fluide, très simple. Tu picores les fruits colorés que je t'offre, tu goûtes à tout, avide de découvertes. Et c'est dans un mouvement que tu m'attrapes à la volée. Ton bras saisit ma taille, je suis stoppée dans mon élan, stoppée là devant toi. Et tu m'offres un câlin. Tu me serres dans tes bras, et je te serre aussi, de plus en plus fort. Nos souffles se font amples, profonds. L'énergie se mélange, circule de corps en corps, fourmille, crépite. Tu caresses mes cheveux, ma main plonge dans les tiens. Ce n'est que le début d'une longue après-midi mussés dans d'autres cieux. Je crois vivre en plein rêve, et tu l'incarnes enfin. Enfin ...

Si tu savais combien j'ai attendu, combien j'ai fabulé ce conte, et combien j'ai souffert de ne pas le voir s'esquisser. Si tu voyais à travers mes yeux, tout ce que tu es, tout ce que tu fais de si particulier et merveilleux, tu comprendrais. Tu comprendrais pourquoi, après ces longues tresses de mots enchanteurs, après ces heures de pur bonheur, maintenant que tu ne veux plus de moi, l'univers m'engloutit. Oui aujourd'hui j'ai trente-cinq ans, et je m'en fiche. Les larmes tremblent au bas de mes yeux, ma poitrine a glissé dans un étau. Je n'ai trente-cinq ans qu'aujourd'hui, demain déjà le temps fuira et écrasera de ses gros pas une énième frange de ma jeunesse.

Pourtant c'est dix ans de survie, que je pourrais fêter. Dix ans de vie en plus sur le calendrier, dix ans qui ont failli m'être volés. Dix ans pas toujours drôles, dix ans de luttes. Mais à travers ces dix années, ont malgré tout percé quelques lueurs de pure beauté, comme celle que tu m'as tout juste laissé le temps d'effleurer. J'aurais aimé la caresser bien plus longtemps. Mais à l'image de cette journée qui viendra si vite décliner, ta lumière était éphémère, volatile et légère, tel un instant volé.

l'essaie bien de la retenir. Évidemment, je cherche comment. Je bois des gorgées de souvenirs, des fragments irréels du rêve évaporé, et j'essaie de ne pas m'y noyer. Je cherche à en conserver la splendeur, tous ces présents, toute cette tendresse, ce dont on ne m'avait jamais fait la promesse. Je garde comme un trésor le cadeau de savoir que tu existes, que ça existes encore, que je peux être comprise, comprendre et échanger, que ça peut être simple, diaphane. Je tente de retenir l'idée de pouvoir encore aimer et être aimée, en toute entièreté. Et je chéris cette aventure, aussi furtive soit-elle, puisqu'elle m'apprend une chose essentielle: il se trouve sur ce sol condamné des êtres incarnant mes rêves délaissés.

Déjà sonne le soir. Les rayons du soleil s'inclinent sur l'horizon, Durant quelques respirations ils flamboieront et d'un seul coup disparaîtront. Ce jour sera éteint. Alors je me laisserai dériver vers des songes oubliés, dans une sphère enchantée, en réanimant le passé. Au creux de mon mirage, nous nous laisserons enivrer par les volutes pourpres du ciel et du raisin fermenté. Nos pieds feront un pas de côté. Rien n'existera plus qu'une bulle de volupté, que ces baisers offerts à nos nuques, que les frissons fiévreux de nos caresses lentes. Dans cet instant fugace, plus rien ne comptera, si ce n'est flotter, oublier l'extérieur, chasser l'avant et éloigner l'après. Il faudra déguster chaque ­seconde comme autant de mets subtils, uniques, irremplaçables. Jamais elles n'auront été goûtées avant, jamais nous ne les retrouverons. Ce soir sera divin, mais vite, très vite, viendra demain. Et la parenthèse sera close. Elle se dissoudra dans l'écume des jours, jusqu'à ce que notre mémoire, ou notre plume, peut-être la ranime.

Et quand, après tant d'années écoulées, une file indienne d'instants fugaces et précieux viendra danser devant nos yeux, telle une ribambelle de souvenirs vibrants et colorés, et que les heures restant à notre cœur seront comptées, nous observerons de si près qu'il en sera serré, à quel point éphémère notre existence aura été.


 

«éphémère»

J'écris ce poème sur ton corps, J'effleure ta peau de ma langue déliée, Baisers et caresses coulent de mes lèvres.

Entends comme elles te chantent, Chaque grain de sable, Chaque goutte d'océan, Chaque brin d'herbe

Devient poème au contact de ton ventre.

Il rit et chante!!

Tu boudes ?! « Ephémère ! », dis-tu?!

Eh bien! Je recommencerai!

Comme la goutte de pluie dans le désert, Comme la grappe de raisin dans la vigne ...

Je recommencerai!

De mon désir frais et charnu Sur ton corps j'écris ce poème.

Quel besoin d'ailleurs?

Je peux dessiner sur tes lèvres Le monde entier!

J'écris mes rêves sur ton corps; Lui au moins est réel!

Ephémère oui... !

Je ne sais où je serai demain ...


 

 

Élan fugitif

Le cœur du végétal oscille
et la tige se ploie
dans un jeu de lumière
où le décor chatoie

Fine est la texture
tremblante la matière
et l'espace impalpable
ajoute au mystère

Formes évanescentes
et silhouettes esquissées
se perdent en toiles
à l'aspect métissé

Une odeur mellifère
agace l'olfaction
et le parfum surprend
par ses évocations

Le miracle surgit.
à la périphérie
où un monde caché
frôle la féerie

Le regard ignore
l'invisible
mais le dissimulé triomphe
du tangible

Du spectacle éphémère
il ne restera rien
qu'une trace fugace
qui au matin s'éteint


 

 

De notre envoyé spécial à Fairy Land, Benjamin Grimm

Les fées mères, une espèce en voie de disparition

Depuis combien de temps n'avez-vous plus rencontré de fées? Selon un récent sondage d'opinion, c'est près de 98 % de la population qui déclare toute absence de contact avec une représentante du monde occulte et enchanté. Encore plus inquiétant, 70 % de l'échantillon affirme n'en avoir jamais entendu parler!

A l'instar de bien d'autres espèces, les fées sont clairement menacées d'extinction.

Pour évoquer ce problème, j'ai contacté le célèbre elficologue David Barrie. Il confirme les chiffres alarmistes de réduction des populations pour l'ensemble des petits êtres surnaturels.

Il incrimine le non renouvellement des auteurs, les anciennes gloires étant de plus en plus délaissées. Si les sorciers ont pu bénéficier de l'énorme impact médiatique et du succès universel de la saga d'Harry Potter, rien de tel ne s'est produit avec les Mélusine, Morgane ou Carabosse, qui sont franchement datées. Si on ajoute la disparition des territoires propices à l'exercice de leur activité, en raison de l'urbanisation et de la dégradation des milieux naturels, le cantonnement de ce type de mythe aux pays occidentaux, et le costume ringard qui fait s'écrouler de rire les ados d'aujourd'hui, la cause est entendue. Mais même chaussée de tennis dernier cri, de jeans déchirés, de tops ajustés, un casque sur les oreilles et un smartphone dans les mains en lieu et place de la baguette traditionnelle, Clochette peut-elle encore concurrencer les robots des «japoniaiseries» ou les héros de mangas ? Est-elle de taille à lutter contre les séries télévisées, les vidéos, les réseaux sociaux ?

Cette raréfaction des individus en état d'exercer leurs pouvoirs surnaturels est extrêmement préoccupante. Ici, il faut tordre le cou à une idée fausse, mais bien ancrée: les fées ne sont pas immortelles. Elles sont soumises aux cycles de la vie, et aux lois de la reproduction. Hors les fées mères sont devenues fort rares, et les naissances exceptionnelles. En témoigne la fermeture de la dernière maternité spécialisée, il y a plus de cinquante ans.

Aborder la sexualité des fées, à l'époque de « me too » et des condamnations de la pédocriminalité est un sujet délicat. Mais la question doit être posée sans détours: qui aujourd'hui pour engrosser nos petites magiciennes ?

Non, cela ne se fait pas d'un coup de baguette, et pour ce qui est des mâles appelés féetauds, il y a bien longtemps qu'ils ont déserté le terrain, et fui leurs responsabilités, dépités de leur anonymat. L'endogamie ne pouvant être remise en cause, les enchanteresses ont pris l'habitude des amitiés féminines pour combler leur besoins de tendresse. En dehors de tout jugement moral, force est de constater que cela ne contribue pas à la sauvegarde de la race. Les fées LGBT sont éminemment respectables, mais ce type de liaison ne peut donner de fruit.

Le constat d'une situation dramatique ne sert à rien, sans mobilisation pour la recherche de solutions pérennes.

Qui voudrait d'un monde désenchanté, d'un univers où toute magie serait absente? Que seraient les contes pour enfants dépeuplés de leurs plus célèbres héroïnes ?

A ces questions, une majorité de nos concitoyens répondent qu'ils sont hostiles au bannissement du merveilleux, celui la même avec lequel ils ont grandi, et qui leur a apporté plaisir et contentement. Face au péril, il importe de réagir de manière structurée, et diverses voies peuvent être explorées afin de mettre fin à la grogne et aux manifestations suscitées par le sort des fées, et l'impasse fictionnelle actuelle.

En premier lieu, il est nécessaire d'organiser un grand débat national, des assises réunissant citoyens, experts, parents et responsables, pour faire un vaste état des lieux, et envisager les mesures à prendre. Il est indispensable que les représentantes des fées soient associées aux débats, à travers leur syndicat représentatif. En cette période électorale, certains candidats à la magistrature suprême se sont déclarés favorables à la démarche, et assurent qu'ils respecteront et mettront en œuvre les propositions opérationnelles.

Informer, protéger, développer, tels sont les axes d'intervention qui se profilent, pour porter secours aux créatures de légendes.

En second lieu, il faut dés à présent lancer un appel aux écrivains, auteurs, scénaristes, réalisateurs pour qu'ils s'emparent de ce sujet de société, et nous livrent un travail «fée main». Face à la disparition annoncée d'une population essentielle, il faut réagir avec force et détermination. Si les fées ne se reproduisent plus, alors il faut en créer de nouvelles. Notre époque ne manque pas de talents, la parole est à l'imagination, mais le temps presse!

Il en va de l'avenir et de l'équilibre des jeunes générations. Mettons un peu de côté les super héros contemporains, et offrons nous des héroïnes dignes de ce nom, jeunes femmes aux charmes envoûtants, capables de renverser les situations les plus dramatiques. Condamnons les esprits terre à terre et mesquins, et laissons la place aux rêves.

Les fées appartiennent au monde merveilleux mais éphémère de l'enfance, et à ce titre font partie des trésors intemporels.L'UNESCO devrait les ajouter à la liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité.

Il suffit d'observer un gamin à l'écoute d'un conte de fées, de contempler le bonheur dont il rayonne, pour être convaincu de la nécessité d'assurer une postérité à ces personnages irremplaçables.

Est-il nécessaire d'avancer d'autres justifications pour un sauvetage d'urgence?

Maintenir les fées mères à travers toutes sortes de créations et de récits, les réinscrire dans le temps long, c'est faire œuvre de salut public. Puissent les muses concernées entendre cet appel, et inspirer les productions fécondes de demain.


 

Ligne de rive.

C'est lors d'une de ces longues journées à vélo que j'avais compris ce qu'était une pensée éphémère.

Avec mon mari, nous avions décidé, comme on se lance un défi, de partir en voyage à vélo pendant trois mois. L'itinéraire avait été choisi, précis pour les deux premières semaines et adaptable pour le reste. Des décisions avaient été prises: on ne pédale pas s'il pleut, on n'hésite pas à aller à l'hôtel si on ne trouve pas d'endroit pour poser la tente. Ce voyage allait être sous le signe de la sérénité, nous avions passé l'âge de subir des galères matérielles. Nous voulions vivre la liberté de notre retraite toute récente, vivre le nez au vent, débrancher du quotidien. Le téléphone portable restait notre allier pour son GPS et pour son appareil photo mais il avait fini de sonner toutes les deux minutes.

Donc, lors d'une journée sur le vélo, certaines pensées pouvaient arriver rapides et fugaces. Elles survenaient souvent quand je fixais la ligne de rive, la bande blanche sur le côté droit de la route qui délimite la chaussée du bas-côté. « Il faudra penser à racheter du thé ! » « Je devrais vérifier la pression des pneus chaque matin! » Des pensées que je m'empressais d'oublier quand je m'arrêtais car mon intérêt devenait autre rapidement: reprendre son souffle, trouver la bonne direction, observer les nuages. C'étaient des pensées éphémères. Parfois, elles se portaient sur des personnes et je pensais à Sophie qui aurait été contente de venir avec nous, à Jean-Paul que je n'avais pas vu depuis son voyage au Pérou. Ces pensées aussi s'envolaient aussi dès que je posais le pied à terre.

Au bout de quelques jours, un autre sentiment s'imposait à mon esprit quand je pensais à ma mère. La vision d'une petite fille de 6 ans, moi en l'occurrence, assise sur le bord du lit, habillée pour sortir avec une jupe rouge et des socquettes blanches, dans la pénombre, me regardait avec des yeux tristes. Ce regard me bouleversait et je faisais une embardée en revenant à la réalité du moment. Ce phénomène se reproduisait à chaque fois que mes pensées se dirigeaient vers ma mère et à chaque fois, je me heurtais à ce regard triste. Que voulait me dire cette petite fille que j'avais été? Que signifiait cette abîme de tristesse?

Les relations avec ma mère avaient toujours été compliquées : incompréhension, autorité mal placée envers moi, sa préférence à ses autres enfants, la culpabilité qu'elle me faisait porter pour tout et pour rien. Il me semblait que j'avais subi mon enfance au quotidien et je n'en gardais aucun souvenir. 

Les journées à vélo se succédaient et je ne comprenais pas cette vision. Elle faisait partie du voyage comme une petite peluche accrochée à mon guidon. Elle m'accompagnait tous les jours et finalement je m'habituais à elle. Elle avait le droit à un bonjour tous les matins, je lui racontais quelques anecdotes parfois ouje lui confiais mes ressentiments. Ce voyage avait duré trois mois et notre cohabitation quotidienne était simple et joyeuse, mais malgré tout, la tristesse de son regard perdurait.

Un mois après mon retour, lors d'une visite à ma grand-mère, je lui racontais notre voyage, lui montrais des photos, je lui parlais de cette vision et lui demandais si elle correspondait à un véritable souvenir. Je la vis réfléchir puis elle me dit qu'effectivement, un dimanche midi toute la famille, mes parents et mes frères et sœurs, était partie au restaurant et c'est en mangeant les entrées que ma plus jeune sœur s'était aperçue que je n'étais pas. Ma mère avait même dit « Pour maintenant, on va finir de manger! ». Et voilà, j'étais restée assise sur mon lit avec mes habits du dimanche et mon regard triste d'avoir été délaissée. Ma grand-mère n'avait appris cet épisode que bien plus tard et ma mère lui avait précisé:  « Elle n'avait qu'à se dépêcher! ».

Ma grand-mère me sourit tendrement et me dit: «Les souvenirs arrivent parfois sans être convoqués. Les pensées éphémères ne sont pas toujours bonnes, il ne faut pas les retenir. Elles nous empêchent de vivre notre vie l»


 

Le temps presse !

Virgilio est de ces hommes, attachés au concret et fuyant les spéculations intellectuelles. Il a toujours avancé dans la vie, en regardant droit devant, sans trop se questionner, soucieux d'imprimer sa marque et de réaliser ses projets. C'est un bâtisseur patient et résolu, une œuvre après l'autre, porté avec assurance vers un futur qui lui a toujours ouvert les bras. Comme tout un chacun, il a connu des déboires, des vicissitudes, des doutes mais son caractère positif, sa personnalité volontaire, son attitude combative alimentés par un optimisme raisonnable sont venus à bout des embûches du chemin.

Aujourd'hui, il atteint la maturité, et se dirige benoîtement vers un horizon sans nuages, légitimement fier de ses réussites, du fruit de ses efforts. Il est reconnu dans son travail, chef d'entreprise respecté des ses salariés comme de ses pairs, et ses affaires tournent bien. Il n'a rien d'un requin, et se range dans la catégorie des patrons socialement responsables, de ceux qui ont une éthique et des valeurs. Il n'a pas la fatuité de croire que son parcours est exemplaire, il sait avoir commis quelques erreurs mais globalement il n'a pas à rougir de ses actes. Sur le plan personnel, il mène une vie de famille enviable, avec une épouse épanouie, et des enfants qui ont poussé sans problèmes au sein d'un foyer uni et protecteur. Ses revenus et son patrimoine, dont la magnifique villa construite sur les hauteurs de sa cité natale qu'il n'a jamais quittée que pour de brefs séjours, le mettent à l'abri du besoin. Bref, il est un homme assis, épanoui, sûr de ses choix, qui jouit de sa situation en toute bonne conscience. Il ne craint pas l'avenir, il est installé dans la durée, il croit à la pérennité des choses

D'où vient alors ce sentiment diffus d'inconfort, qui le taraude de plus en plus souvent, et qu'il n'a confié à personne. Comme un secret honteux qu'il traîne après lui, de plus en plus mal dissimulé. Un venin subtil qui vient empoisonner son existence. Est ce l'avancée en âge qui le conduit à appréhender le caractère illusoire de tout acquis? Une crise existentielle qui impose une vision distordue de la réalité? Est-il menacé par une inattendue dépression liée à une lucidité déstabilisante ?

Désormais, il perçoit le précaire, le provisoire, le fugitif là où tout semblait inébranlable et destiné à perdurer! Le dur se lézarde, le stable vacille, et les tentatives d'endiguement tournent court. La temporalité se dérobe, les durées deviennent relatives. Au final rien ne demeure, tout s'achève à plus ou moins long terme, les civilisations comme les étoiles, les hommes et leurs ouvrages, les productions matérielles et les créations naturelles, les constructions élaborées comme les générations spontanées.

Il en est bouleversé, désemparé et ignore vers qui se tourner pour calmer cette anxiété qui ne dit pas son nom. Une pensée de Tristan Bernard le nargue: « il ne faut compter que sur soi-même et encore pas beaucoup ».11 a essayé de lutter contre l'angoisse du périssable, de traiter le mal par la dérision ou la rationalité, pour fmalement reconnaître la vanité de l'entreprise. Puis il a capitulé face à la fugacité étourdissante de l'univers.

Il prend alors une décision surprenante au regard de ses comportements habituels. Tout laisser pendant quelques temps, quitter son monde pétri de certitudes confortables et partir vers d'autres cieux à la recherche d'une compréhension plus large, d'approches différentes. Il doit casser sa routine, ses habitudes, et s'éloigner de ce qui l'empêche de voir et de comprendre. Seul, livré à lui même dans un contexte étranger et déroutant, il espère pouvoir briser les murs aveugles qui bornent son regard. « Pour aller où tu ne sais pas, tu dois prendre le chemin que tu ne connais pas» lui murmure sa conscience.

Virgilio invente des pseudo raisons à son départ, pour ne pas inquiéter son entourage. Nul n'en est dupe, mais ses proches, comprenant qu'il s'agit d'un besoin impérieux et non d'un caprice, ne font pas obstacle au projet. Si le retour à l'équilibre est à ce prix, laissons le aller, voilà ce qu'ils se disent.

Il s'embarque sur un cargo à destination de l'orient. Pourquoi cette destination? Une intuition, son instinct qui le guide à présent. Le temps de la traversée est un temps étiré et nécessaire. Seul face à la mer, aux vagues et aux lames sans cesse renouvelées, la tête perdue dans les nuées fuyantes, le corps secoué de nausées, il sent sa conscience s'éveiller à des perceptions et concepts qui ne lui sont pas familiers. Il navigue sur un élément liquide, instable et jamais immobile. Toujours semblable, et toujours différent. Chaque journée ressemble aux précédentes, mais demeure unique. Dans l'univers océanique, on ne peut s'appuyer sur rien de solide, de fixe ou de durable. Et pourtant, on y avance, on trace sa route sans s'accrocher à ce qui est appelé à disparaître très vite.

Virgilio tangue, mais le roulis n'est pas seul en cause; c'est tout son être profond qui oscille et balance. En souriant, il se dit qu'il est atteint par «l'effet mer», et retrouver un peu d'humour lui fait du bien.

Quand la côte apparaît, puis le port où il quittera le navire, il n'est plus tout à fait le même et d'anciennes évidences sont parties en fumée. Il foule alors une terre inconnue, se laissant imprégner par la nouveauté des sonorités, des parfums, du spectacle du quotidien. Il n'a pas de but précis, et laisse l'errance décider de ses pas. Les journées passent, s'achèvent et se détachent telles les pages d'un éphéméride délaissé. En ces lieux, il n'est plus tenté de saisir, happer, s'approprier, garder, conserver. Il se sent comme une page vierge, sur laquelle aucune impression ne résistera. Il ignore de quoi demain sera fait, quelle place sera la sienne, mais curieusement aucune crainte n'accompagne cette prise de conscience. Il expérimente l'ici et maintenant, le présent. Il n'est plus dans la course du temps, n'a plus le souci du passé ou de l'avenir. Il rencontre des sages et s'initie à l'impermanence des choses, à la beauté de l'instant, en renonçant à toute captation illusoire. Vouloir retenir l'éphémère serait comme égrener le sable du désert, arrêter la course des nuages ou dénombrer les gouttes de pluie.

Accepter la fugacité et l'évanescence, lâcher prise, ne plus contrôler, sont autant d'attitudes éloignées de sa philosophie d'antan. Tout au plus pratique-t-il quelques pauses, afin de savourer les infimes bonheurs journaliers.

Au terme de son périple, il se sent dépouillé, délesté et apaisé. Tout peut s'arrêter d'un moment à l'autre, mais il a le sentiment d'être bien plus vivant qu'à son départ. Il n'y a pas lieu de renoncer à tout ce qui faisait son existence, mais son regard a changé, ses attentes sont différentes. Ses possessions n'ont plus grande signification, il a soif d'authenticité et d'intensité. La confusion des pensées désormais dissipée, il envisage paisiblement d'aborder un nouveau chapitre de son histoire.

Oui, toute vie est éphémère à l'image des insectes ou des fleurs du même nom, qui ne vivent que quelques heures, une journée tout au plus. Cette brièveté en fait la beauté et le prix. Se battre contre cette réalité conduit à une impasse. La joie est dans l'instant, et non dans la durée. Vouloir immortaliser quelque moment que ce soit n'a guère de sens au regard de la fuite du temps.

Virgilio est de retour chez lui, avec une lumière nouvelle dans les yeux, et un sourire en provenance du cœur. Il reprend le cours de sa vie, fort des découvertes et convictions intimes qu'il partagera avec qui est prêt à l'écouter et à discuter. A ceux la, il offrira le témoignage d'un homme intègre et bienveillant, et non l'affirmation dogmatique d'un gourou condescendant.

Et pour qui rêve encore de longévité, de persistance, d'infinité, il rappellera avec légèreté cette sentence d'un humoriste: «l'éternité, c'est très long, surtout vers la fin».